longtemps effort vain, c'estqu'on l'a cherchée sur lechemin des sciences au lieu dela chercher sur celui de l'art.
Arthur Schopenhauer,Parerga et Paralipomena, 1851.
L'idée du beau peut se comprendre de plusieurs façons. L'une des plus répandues consiste à concevoir l'idée de beauté comme étant un élément qui relèverait du goût. Platon, Aristote, Plotin, ou encore Emmanuel Kant, Hegel, Hannah Arendt, Simone Weil, Cynthia Fleury, et beaucoup d'autres philosophes ont consacré une partie de leurs travaux à ces questions complexes ou ont nourri leurs réflexions grâce aux arts. L'idée du beau que nous allons aborder dans cet article, sera de prendre appui sur la spiritualité enseignante, c'est-à-dire sur l'existence du monde des Esprits, d'une possible et vraie communication avec eux, et les nécessaires retours aux chairs successifs pour avancer moralement, amoureusement. Nous aborderons le concept du beau au croisement de tous ces principes fondamentaux de la philosophie spirituelle.
L'IDÉE DE BEAU ET LA SPIRITUALITÉ
Les expressions artistiques sont l'un des dénominateurs communs parmi chaque peuple de la terre. Depuis le lointain art pariétal (grotte de Lascaux, grotte de Chauvet par exemple), jusqu'aux rondeurs de l'architecture byzantine, aux vitraux des basiliques en passant par le Temple du Ciel de la dynastie Ming, la pyramide de Khéops jusqu'aux cases traditionnelles sphériques et coniques d'Afrique subsaharienne ; l'harmonie des courbes, des formes, ou encore l'expression des couleurs et des symboles, sont partout, en toute culture et de tout temps. Le sacré s'est très vite assimilé à l'art, pour ne pas dire développé à partir de l'art. Dans une conférence faite à l'institut Diderot en décembre 2023 (1) intitulée La spiritualité en 2050, le philosophe et sociologue Frédéric Lenoir présente plus de trente années de recherches sur l'histoire de nos spiritualités. Outre la dimension religieuse de cette histoire, il évoque l'importance du désir d'harmonie et de cohésion que ressent l'être humain depuis ses origines. L'idée de grandeur traduit le besoin de se connecter à plus grand que soi, et peut générer l'idée du beau.
LE BEAU SELON PLATON
Remontons l'histoire et revenons à une figure majeure de la philosophie. Difficile, voire impossible, de passer à côté de l'influence du philosophe spiritualiste Platon quand on parle de l'idée de beau. Le concept d'«idées», comme nous avons pu le voir lors de nos premiers articles sur le spiritisme et la philosophie, est un point essentiel de la pensée platonicienne, elle-même influencée par les pensées philosophiques occidentales et orientales. Le monde des idées selon Platon supplante celui de la matière. D'où l'utilisation de majuscule à «idée» et à «beauté» afin de signifier le caractère premier, immuable, unique. D'après les multiples exemples écrits dans les dialogues socratiques, le «monde des idées» du platonisme est la définition antique de ce que l'on nomme aujourd'hui en spiritisme «l'au-delà». L'idée du beau chez Platon provient de ce monde suprasensible, nous verrons plus tard qu'il en est de même en spiritisme, l'idée du beau, en son sens universel et pur, provient de l'au-delà des Esprits.
UN DIALOGUE SUR L'APPRENTISSGE DE LA BEAUTÉ
Avant de développer ce point, voyons brièvement ce que nous dit l'un des dialogues faisant mention du concept de beauté dans Le Banquet. Ce dialogue situe l'histoire lors d'un banquet en l'honneur de la divinité de l'Amour (Eros). Différents convives vont proclamer leurs louanges sur le rôle de l'Amour. Ce qui peut nous intéresser en ce qui concerne l'idée de beau, est au moment où le personnage de Socrate raconte une discussion entre lui et une philosophe et prophétesse du nom de Diotime. Cette dernière aborde l'initiation de la beauté en vue d'acquérir la révélation de la beauté en elle-même :
«Suivre, en effet, la voie véritable de l'amour, ou y être conduit par un autre, c'est partir, pour commencer, des beautés de ce monde pour aller vers cette beauté-là, s'élever toujours, comme par échelon, en passant d'un seul beau corps à deux, puis de deux à tous, puis des beaux corps aux belles actions, puis des actions aux belles sciences, jusqu'à ce que des sciences on en vienne enfin à cette science qui n'est autre que la science du beau, pour connaître enfin la beauté en elle-même.» Platon, Le Banquet, éd, Les belles lettres, Col. Librio, 1992, p 56.
Nous retrouvons là tout le spiritualisme de Platon dans ce bref passage : l'apprentissage qui consiste à aller de la beauté du corps physique à celle de l'âme, et de l'âme aux idées immuables.
Diotime enseigne à Socrate l'art de l'Amour et la science du beau. L'idée de beau chez Platon est également le cheminement de la diversité vers l'unicité.
LE CONCEPT DE BEAUTÉ COMME VALEUR MORALE SPIRITE
On remarque de plus en plus les bienfaits de l'art au niveau social et thérapeutique, que ce soit grâce à l'art-thérapie ou à la pratique des arts, diverse et variée, il en ressort une source d'équilibre et souvent une expression nécessaire, vitale. L'idée du beau est véhiculée à travers la pratique et le partage de l'art. Le platonisme, qui appartient à une époque où la notion d'art n'était pas la même que celle que nous avons à présent, pose néanmoins une conception du beau directement reliée à des valeurs morales. Ce qui a déclenché bon nombre de théories et de critiques tout au long de l'histoire de la philosophie.
Ces valeurs peuvent s'expliquer en partie par l'étude spirituelle. L'appel à l'élévation intellectuelle et morale que comporte l'éthique spirite constitue la continuité entre la pensée platonicienne, l'éthique originelle et l'enseignement des Esprits. Les arts peuvent permettre d'accéder aux nobles sentiments tels l'empathie, l'amour, la bienveillance, l'humilité, la joie, une certaine tristesse et une certaine colère, etc. Autant de dispositions de l'esprit qui nous insufflent le désir céleste de transcender nos conditions matérielles.
L'idée du beau est donc indissociable de l'idée de progression morale. Par-delà les recherches humaines sur l'expérience esthétique, au demeurant forts instructives, qui ont exploré le rôle du goût, de la beauté sur nos sens, ou l'impact de notre subjectivité en rapport à nos appréciations (chez Kant notamment), l'idée du beau, sous le prisme de l'enseignement des Esprits, appelle quant à lui à une esthétique spirite.
En d'autres termes, les sensations et émotions passent par le corps, mais vont et viennent à notre périsprit - cette enveloppe semi-matérielle garante de notre mémoire, indispensable pour se réincarner - jusqu'à notre esprit. Ces sensations et émotions, qui ne se bornent pas qu'à une seule vie, sont enregistrées en notre périsprit et notre esprit qui à leur tour s'en nourrissent, et permettent ainsi d'apprendre à mieux reconnaître les beautés de la création divine à travers une multitude de supports matériels et sensoriels, et ce, de vie en vie. Ce qui peut valoir pour un individu, peut valoir pour un collectif, un peuple. Les principes de la philosophie spirite à l'intérieur de l'idée du beau apportent éclaircissement et réponses au sujet des souffrances morales. Elles ne sont pas une condition éternelle, mais quelque chose que l'on peut refréner, atténuer, puis s'éviter à force de progression, d'apprentissage individuel et surtout collectif. Nous, spirites, partons du principe que notre monde change, évolue vers une potentielle libération et un monde plus harmonieux. En parallèle, l'idée du beau peut permettre à nos émotions de raffermir et d'affiner nos pensées, nos sentiments, tel un rayon de soleil réchauffant les corps transis de froid au cœur de rudes hivers. L'idée du beau est un sentiment faisant partie de la raison du cœur, une logique sentimentale qui rend possible l'éclosion d'envies de solidarité, d'amour et de partage pour un avancement global. L'art ne peut pas être l'affaire que d'une seule partie de l'humanité, relégué au seul aspect du divertissement, ou n'être qu'une évasion en dehors du réel. Au contraire, il propose un regard différent sur le réel. Les mots et le rythme d'un poème, les formes et couleurs d'un tableau, le son d'une mélodie, la grandeur d'un édifice, l'envoûtement d'une danse, la dramaturgie d'un film ou d'une pièce de théâtre, la profondeur d'une photographie ou la prose et les pensées que nous expose un roman ; tout ceci concourt à faire jaillir et à entretenir des émotions en rapport étroit avec nos origines spirituelles et divines.
Le sentiment de beauté propre à tous les peuples, peut conduire à la paix entre eux à force de s'en imprégner. Derrière les diversités culturelles, ethniques, religieuses, artistiques, il y a l'unicité de notre origine commune. L'idée du beau conduit donc à l'idée de paix. Une paix qui, hélas, réclame l'urgence. L'apprentissage de la beauté est fastidieux, comme tout enseignement, il est divers et peut revêtir plusieurs formes. D'après l'enseignement des Esprits, l'expression du beau ne saurait atteindre au sein de la matière la subtilité et le sublime qu'elle peut atteindre dans l'au-delà.
Par de nombreuses intuitions prodigieuses, dont la présentation d'un «triangle spirituel de l'humanité», l'art et les artistes ont notamment un rôle moteur à l'intérieur de chaque partie du triangle. Ils poussent l'ensemble du triangle vers le haut, vers l'évolution progressive à toujours plus de spiritualité dans un monde matériel.
Par exemple, Kandinsky défendit l'importance de l'art abstrait afin d'ouvrir les consciences à une beauté non pas esthétique, matérielle, mais spirituelle et nécessaire à nos esprits ; une thèse qui vise à mettre l'accent sur nos vraies natures derrière le corps physique. Thèse que nous retrouvons bien entendu détaillée et approfondie dans les messages et ouvrages spirites jusqu'à notre époque.
LA SPITUALITE DANS L'ART ET L'IDÉE DU BEAU
La spiritualité vient ouvrir à l'art des perspectives nouvelles, des horizons sans limites. La communication qu'il établit entre les mondes visible et invisible, les indications fournies sur les conditions de la vie dans l'au-delà, la révélation qu'il nous apporte des lois supérieures d'harmonie et de beauté qui régissent l'univers viennent offrir à nos penseurs, à nos artistes, des sujets inépuisables d'inspiration.
L'art développe également l'idée de beau à travers l'au-delà. Par ailleurs, nous retrouvons l'analogie entre le visible et l'invisible soutenue il y a plusieurs siècles par Platon. C'est par ce point que nous pouvons dire que le monde des idées platoniciennes est une esquisse de ce que la spiritualité enseignante a révélé comme étant l'au-delà, et que l'au-delà est, et sera la dimension principale, notre véritable environnement : «La beauté est un des attributs divins. Dieu a mis dans les êtres et dans les choses ce charme mystérieux qui nous attire, nous séduit, nous captive et remplit l'âme d'admiration, parfois d'enthousiasme. L'art est la recherche, l'étude, la manifestation de cette beauté éternelle dont nous ne percevons ici-bas qu'un reflet. Pour la contempler dans tout son éclat, dans toute sa puissance, il faut remonter de degrés en degrés vers la source d'où elle émane et c'est là une tâche difficile pour la plupart d'entre nous. Du moins, nous pouvons la connaître par le spectacle qu'offre l'univers à nos sens et aussi par les œuvres qu'elle inspire aux hommes de génie. Mais dans l'espace, ce pouvoir créateur s'affirme avec d'autant plus de puissance que la matière fluidique est plus subtile et que l'Esprit a mieux appris à combiner les éléments éthérés qui sont la substance même de l'univers. Là, toutes les difficultés de l'œuvre terrestre disparaissent ; il suffit d'une action mentale soutenue pour prêter aux fluides les formes que l'Esprit veut réaliser et rendre durables.
La notion de Dieu est omniprésente dans l'idée du beau. À travers les arts, elle semble plus proche de nous, à la portée de nos niveaux de conscience, au quotidien, entre nous. La diversité permet, si l'on peut dire, de trouver chaussure à son pied face aux multiples formes et expressions artistiques de l'humanité. Derrière les diversités de l'expression artistique sincère, se cache une parcelle de l'idée du beau, une parcelle reliée à la force divine, créatrice, unique et éternelle.
Laissons les esprits conclurent de leur verbe désincarné cette brève présentation de
l'idée de beauté :
«La peinture existe pour les yeux de l'Esprit. Elle doit lui parler. Je continue de penser la couleur, de penser la forme. La couleur est une relation subjective. Elle est par conséquent limitée sur la Terre par la perception des sens humains. Libre à l'Esprit d'inventer, de créer dans l'invisible.»
«Si l'émotion n'existait pas, l'art n'existerait pas, l'esprit n'existerait pas, Dieu n'existerait pas. Écrire, composer, peindre ou sculpter, voilà les verbes de la création et les preuves du Créateur.»
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