
À l’heure où des conflits meurtriers se perpétuent en plusieurs
endroits de la planète, au mépris de toutes les règles internationales, le défi est de taille, celui d’en appeler au droit pour protéger des populations victimes de guerriers qui encore une fois, ont outrepassé les règles du droit international humanitaire. Il est dit que «attaquer les civils est un crime de guerre», mais dans les faits ces crimes contre l’humanité sont incessants, la légalité et le respect dû aux civils n’ayant jamais été appliqués. La réalité s’apparente davantage à ce qui fut souvent qualifié d’épuration ethnique, consistant à persécuter des parties de populations considérées comme indésirables ; ce qui est la situation d’aujourd’hui en Éthiopie, au Soudan, au Nigeria, en Somalie, et plus près des responsabilités occidentales, à Gaza, là où les exactions s’apparentent à un crime de type génocidaire. Quant à l’Ukraine assiégée, ce n’est pas la population en elle-même qui dérange l’assiégeant, mais le fait qu’elle a souhaité expérimenter la démocratie en tournant son regard vers l’Europe.
Jusqu’à aujourd’hui, les États du monde représentés par les Nations Unies, ont toujours été dans l’incapacité de faire valoir le droit ; ce fut le cas dans les années 90 au Rwanda, dans l’ex-Yougoslavie et en différents États où le droit international fut bafoué comme il l’est encore aujourd’hui dans les régions précédemment citées. Tout au plus, a-t-on réussi à traduire en justice quelques grands criminels plusieurs années après les faits.
Selon Amnesty International, «quelles que soient leur nature et
leur intensité, les conflits armés entraînent partout des violences.
De la République Centrafricaine à la Syrie, du Yémen à l’Irak, en
passant par Gaza, les civils sont les premières victimes des combats.
Ils devraient pourtant en être protégés comme l’exige le droit international humanitaire.» Ce droit est inscrit dans les Conventions de Genève, comportant des règles précises que les belligérants feignent d’ignorer. Et c’est alors que les vies civiles n’ont plus d’importance, tous les droits les plus élémentaires sont bafoués et l’Organisation des Nations Unies n’a plus qu’un pouvoir qui s’avère dérisoire, celui de dénoncer les crimes sans jamais être entendue.
L’ONU reste pourtant un outil indispensable, mais qui demeure
inopérant de par sa structure même. Son Conseil de sécurité qui a toujours le dernier mot dans les questions les plus cruciales, ne sert pratiquement à rien dans la mesure où toute proposition de décision doit être votée à l’unanimité des cinq membres permanents, les États-Unis, la Chine, la Russie, la Grande Bretagne et la France.
Or, il y a toujours au moins un de ces cinq États qui, en fonction de ses propres intérêts, oppose son véto à toute décision importante.
DÉVASTATIONS AU PROCHE-ORIENT
Lorsque ces lignes paraitront, les situations seront sans doute encore différentes, étant donné qu’on ne peut pas être au plus près
de l’actualité dans une revue trimestrielle. Cependant, la tendance lourde des guerres actuelles est une réalité dont on ne sait comment elle va évoluer dans les mois qui viennent.
L’une des préoccupations les plus aigües du moment, est la terrible guerre menée par Israël contre tous ses voisins, à commencer par cette sorte de nettoyage ethnique du peuple palestinien, d’une façon brutale à Gaza et d’une façon plus progressive mais tout
aussi brutale en Cisjordanie.
Même si l’on sait l’atrocité de ce que les Israéliens ont subi le 7 octobre 2023, on sait aussi que la riposte est à chaque fois rendue
au centuple. Et cette fois-ci, c’est une riposte qui ne s’arrête plus et dont l’on devine clairement le but ultime qui serait l’anéantissement de tout un peuple, et en tout premier lieu l’anéantissement de toutes ses infrastructures et habitations, ce qui est déjà la réalité de Gaza qui n’est plus qu’un champ de ruines. Comment reconstruire sur un endroit truffé de bombes et de munitions non explosées ? Impossible pour des Palestiniens qui, de toute façon, sont invités à aller voir ailleurs. Quant au conflit avec le Hezbollah, il augmente d’intensité et rejaillit sur le Sud-Liban complètement assiégé. Le gouvernement israélien semble bien décidé à poursuivre indéfiniment cette guerre sur plusieurs fronts, sans que l’on sache si la prochaine étape sera d’une façon ou d’une autre un affrontement avec l’Iran.
Concernant le Premier ministre israélien revenu plusieurs fois aux affaires, il est utile de faire parler la mémoire historique pour bien comprendre son but de guerre. Après la signature des accords d’Oslo* (1993), le premier Ministre israélien Yitzhak Rabin avait décidé de procéder à l’application progressive de toutes les directives de ces accords. Dans le même temps, le Likoud mené par Benyamin Netanyahou, engageait une campagne de dénigrement et de manifestations où l’on brûlait l’effigie d’Yitzhak Rabin représenté en nazi. C’était le traitre à la nation, l’homme à abattre. Et le 4 novembre 1995, un extrémiste juif Yigal Amir, bien d’accord avec cette propagande, assassinait Yitzhak Rabin.** Ce qui était clair à l’époque et qui l’est toujours aujourd’hui, c’est que Netanyahou et ses alliés d’extrême droite, se sont toujours mis en travers du projet de création d’une entité palestinienne autonome. Cette frange de la société israélienne a toujours envisagé l’avenir du pays en tant que projet du grand Israël, à partir de l’annexion des territoires occupés, la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.
De l’autre côté de l’échiquier, le Hamas envisageait lui, de rayer Israël de la carte pour y installer un État islamique. En réalité, le
Hamas s’est développé avec la complaisance d’Israël et l’aide financière du Qatar, dans la mesure où pour Netanyahou c’est plus
intéressant d’avoir un ennemi fondamentaliste face à lui qu’un mouvement qui avait négocié la paix à Oslo. Ce mouvement,
c’était le Fatah de Yasser Arafat, mais qui a perdu son influence et dont le mandataire officiel Mahmoud Abbas, représentant de
l’Autorité Palestinienne, est à la solde du gouvernement israélien. Il s’agissait d’instrumentaliser le Hamas pour affaiblir le Fatah, mouvement très diminué, tandis que son leader légitime et pressenti, Marwan Barghouti, est toujours en prison. Voilà juste quelques éléments pour mieux appréhender ce qui a mené aux circonstances actuelles et montrer les principales responsabilités
là où elles sont. Cela étant, il faudra d’une façon ou d’une autre revenir à des négociations car la fuite en avant actuelle des deux côtés, ne mènera nulle part. Il faudra bien que tous les fondamentalismes cèdent du terrain, aussi bien ceux du terrorisme islamique que ceux qui mènent l’offensive en forme d’extermination côté israélien.
Les puissances extérieures doivent enfin jouer un rôle positif. Il y aurait des mesures de rétorsion tout à fait envisageables, par
exemple en cessant la fourniture d’armements et munitions à Israël, et puis il sera nécessaire d’en venir à une voie diplomatique
internationale qui ne pourra indéfiniment rester silencieuse, avec les États du monde qui se retrouvent de facto dans la situation
d’une complicité passive face à une épuration ethnique qui se passe sous leurs yeux.
* Washington, 13 décembre 1993 : la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin avec pour témoin Bill Clinton, scellait le début d’un processus pour aller vers la constitution d’une entité palestinienne autonome.
**À retrouver dans Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin, film franco-israélien réalisé par Amos Gitai, avec notamment des interviews de Shimon Peres et Leah Rabin.
OUTRE-ATLANTIQUE
Un malheur n’arrivant jamais seul, l’élection de Donald Trump vient bouleverser encore davantage la situation du chaos ambiant. Son rôle en Israël comme pour l’Ukraine n’annonce rien de bon a priori, étant donné son incurie sur le plan de la diplomatie internationale et son caractère imprévisible.
Ajoutons, comme évoqué dans l’édito précédent*, que le renversement des alliances mondiales, additionné au renversement des
valeurs, est un élément de préoccupation qu’on ne peut ignorer. Ce qui est appelé le grand Sud global a pris une certaine direction,
s’opposant à l’Occident de ses anciens colonisateurs. Cependant, si cet Occident est en train de se déstabiliser lui-même, l’Europe en particulier, il n’est pas exclu en contrepartie que le grand Sud connaisse à son tour certaines distorsions en fonction des intérêts
de chaque État. Nous avions souligné à quel point le Brésil de Lula se trouvait dans une situation particulière de par ses échanges préférentiels avec la Russie et la Chine. Nous avions également souligné que l’Afrique du Sud avait interpelé le tribunal international de La Haye accusant les exactions à Gaza, mais s’était bien gardée de dire quoi que ce soit concernant l’invasion de l’Ukraine.
Sur des affaires de ce genre, la justice ne peut être qu’universelle, indépendamment de sympathies ou préférences que certains
peuvent avoir ici ou là. On observe très clairement que chaque pays pense et agit en fonction de ses propres alliances, se gardant bien d’accuser un pays ami, même s’il exerce les pires méfaits guerriers. C’est ainsi que le Sud global aura tendance à donner son absolution à Vladimir Poutine en prétextant que les Ukrainiens sont des nazis (oui, cette absurdité circule encore…). Les Occidentaux de leur côté, soutiennent la barbarie du gouvernement israélien en lui fournissant des armes, au prétexte que c’est un pays ami classé parmi les alliés de l’Occident. Sans compter que les Allemands augmentent leur aide à ce pays, expiant encore une dette vis-à-vis du peuple juif quatre-vingts ans après la Shoah. Et dans le même temps, ils réduisent leur aide à l’Ukraine. Serait-on en train d’abandonner cette résistance d’un peuple qui se bat jusqu’au bout de ses forces ? Sur ce point, le retour de Donald Trump ne présage rien de bon, à moins que dans son imprévisibilité, il fasse volte-face créant un renversement de situation, sait-on jamais !
*Édito, Journal Spirite n° 137 : Le grand basculement du monde
L’UNIVERSALISME EN QUESTION
Concernant les questions évoquées ci-dessus, on voit que l’éthique n’a aucune place. C’est la volonté de chaque autocrate qui fait loi, pour une occupation, une invasion, une annexion. Dans l’histoire, les conflits territoriaux furent souvent liés à des convoitises de type économique, pour exploiter des matières premières, des minerais, du pétrole, du gaz, etc. Mais pour ce qui concerne ces questions actuelles de l’Ukraine et de Gaza, nous sommes davantage dans des conflits à la fois idéologiques, territoriaux, ethniques, voire racistes, visant à maintenir une hégémonie. Ce en quoi on s’éloigne de tout idéal universaliste et pacifique, d’autant que cela est accompagné d’un recul des valeurs démocratiques. Parallèlement, en d’autres endroits comme aux États-Unis, nous vivons le recul de tout ce qui constitue le service public, là où l’ultra libéralisme débridé prône la seule vision de la libre entreprise sans limites, en diminuant les prises en charge sociales et en indiquant l’inutilité des administrations publiques. À cela s’ajoutent le rejet de l’autre, du migrant, et donc le repli sur soi. Ces questions ne pourront se résoudre que par des transformations politiques à venir, car tout ce qui retarde les évolutions sociales, devra à terme être reconsidéré.
Dans un ordre d’idées un peu différent, venons-en à d’autres types de difficultés, cette fois-ci à l’intérieur même de chaque culture.
En tant que spirites, et chez les plus progressistes, nous avons toujours considéré qu’il n’y avait pas de place pour les particularismes ethniques ou les communautarismes qui divisent. Déjà il n’y avait pas de différences à faire entre les individus et entre les peuples, étant entendu que tous les Esprits sont issus d’une même source, et que leurs différences ne résident que dans les disparités de leurs évolutions respectives.
En opposition à cette conception universaliste qui ne fait pas de différences entre les humains, nous constatons aujourd’hui de
nombreuses formes de communautarismes qui tendent à établir des séparatismes irréductibles. On le voit assez clairement aux
États-Unis avec l’opposition entre Républicains et Démocrates, ce qui provoque des fâcheries irrémédiables alors que précédemment les uns et les autres s’acceptaient fort bien. En outre, sur un terrain plus sociétal, on voit des catégories qui se créent chez des gens devenus radicalisés par exemple dans la défense des LGBTQ+, avec toutes les questions de l’identité et du genre, qui en arrivent à souhaiter que les humains se séparent par groupes et affinités, dans de mini-sociétés qui ignorent tout le reste, comme s’il fallait vivre en communautés fermées rejetant ce qui ne leur ressemble pas. On instaure ainsi des classes d’écoles racisées, recréant une ségrégation à l’envers, estimant qu’on ne peut pas faire cohabiter des personnes au nom de différences incompatibles. Il faudrait au contraire que toutes les classes opprimées se réunissent dans un combat commun. Souvenons-nous que dans les manifestations de Martin Luter King pour les droits civiques (1963), il y avait aussi des blancs. Regardons aujourd’hui le combat des femmes iraniennes, de nombreux hommes sont solidaires et y participent. Ce serait donc une régression lamentable que fragmenter les combats comme si un homme n’était pas habilité à défendre les droits des femmes, comme si un hétérosexuel ne pouvait pas défendre les causes LGBT, etc. C’est cette forme d’enfermement communautariste qui se développe en particulier aux États-Unis et contre lequel il faudra s’opposer, car c’est une autre façon de régresser en inventant des particularismes qui inévitablement conduiront à de nouvelles ségrégations. Au risque de paraitre passéistes, restons-en aux valeurs sûres de
l’unité des luttes contre toutes les oppressions, ne faisant pas de chacune un cas particulier, mais pour qu’il y ait une symbiose dans l’union de tous les groupes ostracisés, susceptibles par leur unité de faire plier tous les conservateurs.
Nous sommes tous égaux en droit et les valeurs que nous défendons ne sont ni sectaires, ni séparatistes, ni communautaristes.
C’est là que cette thématique rejoint la précédente, là où certains ne veulent pas reconnaitre un autre peuple ou une autre culture.
Entrer en guerre contre une population que l’on méprise, cela s’apparente à ce séparatisme communautariste que l’on retrouve
à cette plus petite échelle des questions sociétales. À l’opposé de tout cela, notre combat spirite ne peut être que
celui des valeurs universelles, pour un monde à réconcilier avec lui-même.
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