L’INSPIRATION CHEZ «LES MODERNES»
J.F. Von Schiller, dramaturge allemand, ami de Goethe, épris d’idéal et de liberté, a déclaré que ses plus belles pensées n’étaient pas de sa propre création ; elles lui venaient si rapidement et avec une telle force, qu’il avait de la difficulté à les saisir assez vite pour les transcrire. Madame de Staël dira de lui : «Schiller était un homme d’un génie rare et d’une bonne foi parfaite, ces deux qualités qui devraient être inséparables, au moins dans un homme de lettres… C’est une belle chose que l’innocence dans le génie et la candeur dans la force.» L’oeuvre et la personnalité de Henri Heine, célèbre écrivain allemand, poète admiré, journaliste et historien des idées, ont longtemps suscité des discussions passionnées. Exilé à Paris en 1831, Henri Heine dans sa préface de «William Radcliff» disait ceci : «J’ai écrit William Radcliff à Berlin, lors des derniers jours de 1821, pensant que le soleil éclairait de ses rayons, plutôt maussades, les toits couverts de neige et les arbres dépouillés de leurs feuilles. J’écrivais sans interruption et sans faire de rature.


Tout en écrivant, il me semblait que j’entendais au-dessus de ma tête comme un bruissement d’ailes. Lorsque je racontai
ce fait à mes amis, jeunes poètes berlinois, ils se regardèrent d’une façon singulière et me déclarèrent unanimement qu’ils n’avaient jamais rien remarqué de semblable en écrivant.» Sa tragédie est spirite. Action et dénouement subissent l’influence réciproque du monde des vivants et des morts. L’ironie du poète ne s’attaquait jamais à l’idéal. Elle visait le particularisme qui subsistait encore dans les faits de la vie réelle, l’intolérance
religieuse et surtout les apôtres de cette dernière, qui cherchaient à entraver la marche du progrès. Passionnément
épris de vérité et de liberté, il flagellait de ses sarcasmes les travers de son époque. Tout ce que la société renfermait en son sein de contrastes poignants, de folies et d’idées bornées se retrouve dans ses œuvres éclairées d’une lumière crue et implacable. Malgré les souffrances terribles que lui occasionnait sa maladie incurable de la moelle épinière, il continua de lire, de
recevoir et de dicter ses pensées.
Théophile Gautier, dans la préface des «Tableaux de voyages», décrivit ce génie : «Pendant cette longue agonie, il offrit le phénomène de l’âme sans corps, de l’esprit se passant de la matière… Le génie ressuscitait cette face morte. Heine est le plus grand lyrique d’Allemagne et se place naturellement à
côté de Goethe et de Schiller.» D’une intelligence des plus subtiles, il laissa à la postérité une oeuvre remarquable.
Il mourut le 17 février 1854. «Je meurs croyant en un Dieu unique et éternel créateur du monde et dont j’implore la miséricorde pour mon âme immortelle.»
Alexandre Dumas et Théophile Gautier l’accompagnèrent au
cimetière Montmartre.


Alfred de Musset, «l’enfant terrible» du romantisme, était soumis aux influences les plus diverses qu’il remarquait lui-même : «Oui, disait-il, je subis le phénomène que les thaumaturges appellent possession. Deux esprits se sont emparés de moi». («Elle et lui» de George Sand). Le poète entrait en transe, il fut à la fois un poète inspiré et un médium voyant et auditif : «Voilà bien des années que j’ai des visions et entends des voix. Comment en douterais-je quand tous mes sens me l’affirment… Que de fois, quand la nuit tombe, j’ai vu et entendu le jeune prince qui me fut cher et un autre de mes amis frappés en duel devant moi. Il me semble aux heures où cette communion s’opère, que mon esprit se détache de mon corps pour répondre à la voix des Esprits qui me parlent.»
Alfred de Musset que la fantaisie, la jeunesse et l’amour caractérisent, dialogue avec la muse, déraisonne, manie l’irrespect et la désinvolture ; il est un
non-conformiste des idées et des rêves.
Percy Bysshe Shelley (1792-1822), l’un des plus grands poètes lyriques d’outre- Manche et qui mourut tragiquement à l’âge de trente ans, appartient à la seconde génération des poètes anglais. Idéaliste et révolté, il n’eut de cesse de dénoncer les oppressions de toutes sortes. Sa création poétique est une prise de conscience politique. Sa révolution est synonyme de liberté et d’amour. Dans l’œuvre de Shelley, poésie métaphysique et politique sont liées. Ce virtuose des rythmes et des mots nous offre un lyrisme spontané d’une rare pureté prophétique. Sa Révolte de l’Islam est, selon lui, un long poème narratif, une succession d’images destinées à illustrer la croissance et l’évolution de l’esprit individuel dans son aspiration à la perfection et son attachement à l’amour de l’humanité. «Le Prométhée délivré» est l’œuvre maîtresse de Shelley, offrant la synthèse des deux inspirations : la révolution et l’invisible, et un message d’espoir. Dans Adonais, Shelley exprime sa foi en l’autre monde. Voici ce que dit Medwin, historien de Shelley : «Il rêvait tout éveillé, dans une sorte d’abstraction léthargique qui lui était habituelle, et, après chaque accès, ses yeux étincelaient, ses lèvres frémissaient, sa voix devenait tremblante d’émotion. Il entrait dans une espèce de somnambulisme pendant lequel son langage était plutôt d’un Esprit ou d’un ange que d’un homme.» (Félix Rabe, vie de Shelley)


Ses lectures continuelles, dit Théophile Gautier en parlant de Balzac, ne furent pas interrompues par le collège et avec elles, se développa la méditation extatique de la pensée ; aussi en
résultât-t-il pour Balzac une maladie bizarre, une fièvre nerveuse, une sorte de coma ; pâle, amaigri, sous le coup
d’une congestion d’idées, il paraissait imbécile. Son attitude est celle d’un extatique, d’un somnambule qui dort les yeux ouverts, perdu dans une rêverie profonde, il n’entendait pas ce qu’on lui disait, ou son esprit revenu de loin arrivait trop tard à la réponse. Balzac disait de lui-même : En entendant les gens dans la rue, je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés ; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, et mon âme passait dans la leur, c’était le rêve d’un homme éveillé.»
L’OEUVRE MÉDIUMNIQUE
La Divine Comédie de Dante Alighieri est un pèlerinage à travers les mondes invisibles, suivant les grandes lignes de l’initiation aux mystères antiques avec pour principe la communion avec
l’occulte. Le sujet est l’Univers tout entier, naturel et surnaturel, Le Tasse, composé à 18 ans, son poème chevaleresque,
sous l’inspiration d’Arioste et plus tard en 1575 son oeuvre capitale, sa Jérusalem délivrée. Ce récit légendaire en vingt chants, mêlant l’évocation historique de la conquête des lieux saints par les premiers croisés à la peinture des passions amoureuses, est écrit avec un lyrisme qui se déchaîne surtout
dans les épisodes profanes. Par-delà les affrontements entre chrétiens et sarrasins, il est le lieu privilégié d’un combat cosmique entre les forces divines et infernales. Goethe, Lamartine, Baudelaire ont vu en lui une préfiguration des hantises et intuitions de notre sensibilité moderne.


Le Faust de Goethe est magistral :
«Je courais quelquefois à mon pupitre, dit Goethe, sans prendre
la peine de redresser une feuille de papier qui était de travers,
et j’écrivais ma pièce de vers depuis le commencement jusqu’à
la fin en biais, sans bouger. À cet effet, je saisissais de préférence un crayon, qui se prête mieux à tracer des caractères, car il m’était quelquefois arrivé d’être réveillé de ma
poésie de somnambule par le cri ou le crachement de ma plume, de devenir distrait et d’étouffer à sa naissance une
petite production.»
Joachim de Flore et Jean de Parme furent instruits par des visions et écrivirent, sous la dictée d’un Esprit, L’Évangile Éternel. Thomas d’Aquin conversait avec un personnage invisible. La nuit, sa cellule se remplissait d’une lumière étrange.
Ses épîtres lui ont été dictées et cette faculté disparut subitement. Shakespeare, Milton, Lamartine, Victor Hugo ont été des écrivains inspirés et des ardents défenseurs, comme
Hugo, de la communication possible entre les vivants et les morts. L’au-delà fécondait leur génie. Lamartine se justifiait
des critiques d’Enfantin par ces mots : «J’ai mon but, il ne le soupçonne pas : personne ne sait lequel, excepté moi. J’y monte au pas que le temps comporte et pas plus vite. Ce but est impersonnel et uniquement divin. Il se dévoilera plus tard. En attendant, comment veut-il que je parle à des hommes de chair et d’os le pur langage des Esprits !»
L’écrivain, le poète, est un guide, un voyant, un être sensible qui devine les appréhensions de l’humanité, lui montrant parfois le chemin. Il donne aux mots leur véritable sens pour une expression suprême de la pensée. Laissons la conclusion de ce voyage à travers la littérature inspirée par ce message reçu : «Ne dérangez pas les poètes, ne volez pas leur conscience, ne déchirez pas le voile de leur espoir, envolez-vous avec eux vers des cimes plus hautes, plus belles, plus grandes, toujours plus vraies.>>
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